Suis monté dans l’autocar pour Marseille et j’ai entendu « vous rappellerez à votre amie que c’est interdit de s’arrêter sur un arrêt de bus, elle peut se prendre une amende ! » Moi j’ai dit bonjour au chauffeur et « vous avez tout à fait raison c’est interdit, et vous avez raison de me le rappeler... » Il a souri.
Me suis avancé dans l’allée, me suis assis et ai entendu « personne respecte les règles de la route de toute façon.. » Me suis retourné.
« C’est vrai que pas mal de gens ne respectent pas les règles mais c’est pas une raison », ai-je répondu à l’unique voyageur, jeune homme déjà assis qui venait de m’interpeler. .
Voilà . Ca a commencé comme ça. Aussi simplement que ça.
Et puis nous avons continué à discuté. Moi de mon métier d’enseignant, lui de son métier d’ouvrier, de sa jeunesse. De sa copine, de ses origines algériennes, de l’élève « turbulent » qu’il était au collège, de son collègue qui vit dans un HLM tellement bruyant qu’il a dû voir un psy. De Bordeaux, de mes origines françaises, de l’enfant si sage que j’étais à l’école, de mes débuts dans les quartiers-Nord de Marseille.
J’ai été ému par ses mots parfois maladroits, son usage de l’impératif systématiquement incorrect. Je me suis demandé aussi pourquoi l’Ecole n’avait pas permis à ce jeune homme si enjoué, si enthousiaste, si courageux de maitriser ce putain de mode impératif !
On a parlé encore et encore presque une heure.
« Et vous vous êtes marié ? m’a-t-il demandé.
- Non.
- Vous avez des enfants ?
- Non.
- Et vous en voulez ? »
J’ai attendu un peu, pas longtemps, quelques secondes et puis …
« Tu sais, j’ai un copain, je suis homosexuel, c’est pas vraiment simple aujourd’hui en France d’avoir un enfant. Je ne me pose pas vraiment la question en fait… »
Je ne sais pas pourquoi je me suis inventé un copain.
« Et vous êtes heureux ? m’a-t-il demandé.
C’était si sincère que j’ai eu envie de l’embrasser.
On a parlé homophobie racisme société où tout va trop vite éducation avenir.
A la sortie du car, il m’a tendu la main : « Vraiment j’étais content de vous avoir rencontré.
- Moi aussi et soyez heureux ».
Il s’appelle Karim, il a 24 ans, il vit à Martigues. Une rencontre.